Christian BÉTHUNE, ’L’Apothéose des Vaincus, Philosophie et champ jazzistique’.

Christian Béthune examine ici les fondements de la culture afro-américaine à l’origine des expressions du champ jazzistique à la lueur du discours ontologique de la philosophie occidentale tel qu’il fut formulé, des origines au XXème siècle, par des penseurs comme Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Erwin Strauss, Theodor W. Adorno... et des auteurs du mouvement Harlem Renaissance (Frederick Douglass, Zora Neale Hearston, W.E.B. Dubois...). Il poursuit donc ses réflexions sur le sujet là où il les avait laissées avec ‘ Le Jazz et l’Occident ’, paru en 2008 chez Klincksieck.

Usant du concept de territorialisation / déterritorialisation énoncé par Gilles Deleuze et Félix Guattari, l’auteur montre comment les esclaves substituèrent très vite au paysage africain qu’ils venaient de perdre à jamais, un autre territoire qu’ils bâtiront sur le sol américain afin de survivre aux conditions de vie insupportables qui leur étaient imposées.

Leur existence journalière dans l’univers de la plantation sera rythmée par la musique, les chants de travail et la danse qui deviendront un moyen de résister à la tyrannie exercée par leurs maîtres. À partir de cette affirmation de leur humanité s’élaboreront ce qu’Alexandre Pierrepont définit comme les composantes du champ jazzistique. Et pour la première fois, l’histoire de l’art, habituellement considérée du point de vue des vainqueurs, c’est-à-dire selon Walter Benjamin, de l’aristocratie intellectuelle auquel ce domaine était réservé, s’écrira de manière tout à fait exceptionnelle par des "vaincus", ici les esclaves africains et leurs descendants.

Ces derniers élaboreront une forme d’expression qui, en assimilant des éléments venus d’autres cultures, deviendra le jazz. Considéré comme un "esperanto musical" à l’échelle de la planète, le jazz et ses multiples facettes marqueront de façon décisive le XXème siècle. Bien sûr, nous savions ou croyions savoir certaines de ces choses, nous en avions plus ou moins deviné d’autres, nous en ignorions certaines mais les voilà maintenant mises en perspective de façon précise et argumentée. Et c’est là le grand mérite de cet ouvrage écrit d’une plume alerte mais dont la lecture n’est pas toujours aisée pour qui n’a pas l’esprit tourné vers la philosophie. Même si l’auteur fait parfois un effort pédagogique, par exemple quand il marque une pause fort utile pour expliquer la signification de l’expression champ jazzistique.

Ouvrant matière à réflexion, ce livre est d’une grande richesse comme le montrent une bibliographie conséquente et les notes de bas de pages nombreuses et utiles. Sa lecture soigneuse récompense l’effort consenti par les enseignements que l’on en tire. Le chapitre intitulé " Billie est un oxymoron " constitue l’un des moments forts de ce travail.

Alain Tomas.

Christian Béthune, ‘L’Apothéose des Vaincus, Philosophie et champ jazzistique’. Presses universitaires du midi. 2019.
ISBN : 978-2-8107-0607-5